Aucun journal n'a publié une biographie complète de Victor Noir; mais en glanant de çà, de là, dans les divers articles consacrés à cet infortuné jeune homme, nous parviendrons à constituer une physionomie à peu près complète, dont les traits répondent merveilleusement à l'expression empreinte sur le portrait, d'une fidélité remarquable, que nous offrons à nos lecteurs. Ecoutez la touchante anecdote que raconte le National :
Il avait treize ans. C'était un soir d'hiver. Depuis trente six heures il n'avait pas mangé, et il ne possédait même pas de quoi acheter un morceau de pain. En passant devant un épicier, il remarque un tonneau de harengs saurs exposé à la porte. Affamé, il contemple ces harengs. Un de ces misérables poissons, pour lui, c'était la vie, et pourtant il ne voulait pas en dérober un ! Il s'éloigne vivement, puis repasse pour au moins se repaître des yeux ... pendant deux heures il répéta ce manège; puis, à la fin, la tentation fut trop forte : il prit un hareng et s'enfuit ... Le hareng dévoré en un clin d'œil, les tortures d'entrailles cessèrent, la conscience revint, et avec elle le remords. le malheureux enfant se repentit amèrement de ce qu'il avait fait; il se détestait lui-même; le jour, il lui semblait que chaque personne qui le regardait disait : " Tu est un voleur ! " La nuit, d'horribles cauchemars lui montraient des légions de harengs s'apprêtant à le dévorer ... C'était un horrible supplice. Enfin, longtemps après, il parvint à réunir cinquante centimes. Dieu sait au prix de quelles privations ! il les enveloppa dans du papier, les alla poser sur le comptoir de l'épicier, puis se sauva sans rien dire : restitution était faite, il fut soulagé. Mais le souvenir des angoisses que lui avait causées son larcin le poursuivit toujours, et il n'en parlait sans une profonde émotion.
Nous extrayons du Journal de Paris les lignes suivantes, signées de son rédacteur en chef, M. Edouard Hervé :
Nous connaissions beaucoup le malheureux Victor Noir; nous avions pour lui une vive et sincères affection, et sa mort nous aurait profondément ému, quand bien même elle ne se serait pas produite au milieu des circonstances aussi tragiques. Nous avions contribué à le faire entrer dans la presse il y a quelques années, et depuis cette époque nous ne l'avions presque jamais perdu de vue, même dans ces derniers temps, où il avait pris une voie un peu différente de celle que nous lui avions ouverte.
C'est en 1865 que j'ai vu pour la première fois Victor Noir. J'écrivais alors dans L'Epoque, sous la direction de M. Ernest Feydeau. M. Weiss et moi nous faisions des articles sur les séances du Corps législatif, sous la signature commune de Joseph Perrin.
Nous avions pour rédiger les faits divers un pauvre garçon qui s'appelait Adolphe de Carfort, auquel tout le monde s'intéressait beaucoup, parce qu'il n'était pas heureux et qu'il supportait sa misère avec beaucoup de courage et de résignation. Le choléra survient à Paris. Un beau jour, M. Adolphe de Carfort nous quitte à quatre heures de l'après-midi, après le journal terminé. Le lendemain arrive au journal un grand enfant taillé en hercule, mais avec un air doux et un peu gauche. C'était Victor Noir. Il venait nous annoncer que dans la nuit Adolphe de Carfort avait succombé à une attaque de choléra.
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Yvan SALMON
dit
Victor NOIR
° 27 Juillet 1848 à Attigny
+ 10 Janvier 1870 à Auteuil
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