Dans le Salut public de Lyon, sous la signature Marcus, quelques détails, pris sur nature, qui peignent bien l'humeur et le caractère de ce grand enfant, Victor Noir :
Noir savait à peine lire et écrire; mais il parlait, il remuait, il agissait, il était le journal vivant, une avant-garde, un " enfant perdu ", comme il s'en trouvait en Crimée sous les murs de Sébastopol. On l'aimait au café de Madrid; il était bruyant, gouailleur, bon diable, avec toutes les qualités et tous les défauts de son extrême jeunesse.
Je l'ai beaucoup connu dans le milieu parisien du boulevard et du Figaro; il avait commencé par m'éreinter sans me connaître, sur le recommandation d'un confrère naturellement, - et j'en avais ri de tout mon coeur ; - puis un beau jour il vint me demander je ne sais quel service de camarade, en me faisant remarquer que sa seule recommandation auprès de moi était de m'avoir comparé à Papavoine ou à Lacenaire.
- Je le savais, lui répondis-je gaiement.
- Eh bien ! vrai, s'écria-t-il, c'est gentil à toi, tout de même, de ne m'en avoir jamais gardé rancune.
Je le lui prouvai en différentes circonstances: ce jovial et joufflu garçon avait d'excellentes qualités, au fond, et j'ai en vraiment du chagrin de cette fin lamentable.
La dernière fois que je le rencontrai, c'était aux abords du Palais-Bourbon; il vint à moi en me tutoyant, - ce qui était pour lui un impérieux besoin lorsqu'il sympathisait avec les gens, - et il m'apprit avec entrain son mariage prochain, ses projets, sa joie :
- Je vais avoir de vrais meubles à moi, des chaises, des tables en acajou, des écus tout ronds, je les ferai sonner dans ma poche et on me respectera comme si j'étais un épicier ! Et il riait !
Brave, il l'était, et fier du pays qui l'avait vu naître. A preuve cet extrait rapporté par un journal parisien, et qui remonte à l'époque de la cession de la Vénétie à la France.
Victor Noir se trouvait en ce moment à Milan avec son frère Louis. On vient leur dire qu'il y aurait imprudence de leur part à se montrer dans les rues, où il leur serait fait un mauvais parti, les Français étant alors assez mal vus. Victor Noir, dont les sentiments pour l'Italie s'étaient manifestés par des articles en faveur de la nationalité italienne, remercia la personne qui lui donnait ces sages conseils et descendit aussitôt dans la rue, arpentant le trottoir et regardant les gens en face pour voir si quelqu'un se permettait de lui chercher noise. Il alla ainsi jusqu'à la place du Dôme, le poing sur la hanche, comme un homme qui, sans chercher la provocation, l'attend de pied ferme. Personne ne lui dit rien.
- J'ai peur, dit-il, qu'ils ne m'aient pas suffisamment reconnu pour un Français; si j'osais, je me mettrais une décoration rouge pour qu'ils ne puissent avoir aucun doute sur ma nationalité.
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Dessins tirés de l’hebdomadaire
“Le Voleur”
du 14 janvier 1870
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