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Quant on l'observait longtemps, on reconnaissait en lui une de ces natures supérieures, dont l'amour dominant s'appelle devoir, et dont la passion grandit à mesure que celle-ci s'élargit et s'élève par l'observation et les ans. Dans les longues abnégations de ces vies sans distraction, sans plaisir, les jours, qui s'ajoutent à un même et simple exercice de l'âme, créent des forces dont l'ampleur échappe à notre appréciation vulgaire. Il y a des moments où les actes touchent par l'héroïsme au surnaturel. On ne les comprend plus. Ils sont seuls, et ile entreprennent naïvement de soulever des montagnes qu'ils soulèvent on ne sait comment. Au village, on les nomme des saints ; dans nos villes, philanthropes. Partout les foules sceptiques rient sur leur passage ; mais les bonnes gens admirent et s'inclinent.
Dans la vie simple et forte de Delbrouck, quelle place tiennent les faits, ceux qu'on note d'ordinaire ? Et comment les signaler dans l'effacement volontaire où il vécut ? On le trouve au loin fils d'un mince officier de l'Empire retraité des Invalides. Il s'élève lui-même économiquement, recueillant de droite et de gauche les éléments d'une instruction première. Plus tard, il hante l'atelier d'un maître réputé de l'architecture. Son travail y est opiniâtre ; et bientôt il part avec 900 fr. d'économies pour faire son tour de France et d'Italie. Cela lui prend deux ans. Au retour, le voilà riche ; il n'a pas de besoins et il est laborieux. Il travaille pour vivre. Mais il fait mieux selon lui ; il vit pour aider les autres. La grosse part de son temps y passe. Il est partout où il se croit utile ; et il y est quoi qu'il en coûte. Quand le pays est calme, il faut aller demander aux camarades ou aux voisins les traits de ses incessants dévouements. Quand les passions s'échauffent, quand les événements se compliquent, quand la politique descend sur la place publique, il s'élance en pacificateur au milieu des plus graves conflits. Entre les combattants qu'il implore, son crédit, sa liberté, ses jours sont en péril, lui criez-vous. Qu'est ce que cela ? Qui de nous ne se rappelle ce que cet homme de paix fint et devint le 15 mai 1848. Il entreprit lui seul de refouler le flot envahisseur de l'Assemblée. On conçoit aisément ce qu'il advint. Il se trouva le premier envahisseur et bientôt prisonnier. On le prend pour Barbès. Il le confirme ; et pour quelque temps, se donne la joie qu'il rêve sans cesse de souffrir pour autrui.
Delbrouck ne fut jamais un conspirateur, ni un contempteur de la loi. Mais au temps des préparations usurpatrices, qui pourrait prouver dans quels rangs sont les véritables défenses du droit, même de la légalité ? Sincère, dévoué, courageux, naïvement occupé des intérêts des sociétés ouvrières, que les conditions politiques autorisaient, mais que les apeurements du pays proscrivaient, il se voit poursuivi et condamné comme Président de l'une d'entre elles. Il passa l'année 1849 en cellule à Mazas. Mais ce qui manque au suprême degré d'innocente chaleur des entraînements de sa nature, c'est la douceur que gardèrent toujours ses appréciations sur cet événement. Au lieu de l'âpre infatuation généralement éclose au cœur du citoyen violenté dans son indépendance, Delbrouck ne garda jamais qu'un bienveillant souvenir de sa captivité. Il croyait que les juges s'étaient trompés, surtout que la loi n'était pas nette. Mais il était si utile de rester quelque temps solitaire ; on travaillait si bien loin des fatigues et des troubles de la vie ordinaire ; il avait tant appris de sa cellule que son emprisonnement restait un bien sont il gardait reconnaissance à ceux qui le lui avaient imposé.
Delbrouck se maria et pendant 20 ans que dura l'Empire, il fut partout et toujours le même. Artiste de travail modeste et persévérant dans sa profession, homme de devoir ponctuel et de bienfaisance inassouvie dans les rapports sociaux, citoyen scrupuleux et infatigable dans l'exercice légal de son droit, il devint architecte de la ville de Vernon, où il édifia un hôpital important, des écoles considérables et des abattoirs.
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