Au XIXème siècle, le traitement était encore bien mal connu et beaucoup de personnes contaminées décédaient. C'est ainsi que je quittais ce monde, emporté par ce fléau et loin de ma famille le 25 janvier 1861, alors que je n'avais que trente sept ans. Constance resta donc veuve à Sangatte avec notre fils Joseph Léon Simon âgé de dix ans et sa soeur Marie Elise qui n'avait que trois ans. Ce fut pour eux, beaucoup de peine et de douleur à supporter. Ma veuve retourna vivre avec nos enfants dans le cabaret familial où elle perdit le rang social qu'elle avait acquis par notre mariage. A son tour, le 13 septembre 1867, alors qu'elle n'avait que trente sept ans, elle mourut, étreinte par le chagrin mais aussi probablement en raison de ses nouvelles conditions de vie. Pour Marie Elise ce fut aussi trop de douleur et de difficultés, orpheline de son père et de sa mère, elle vint nous rejoindre à son tour en 1872 alors qu'elle n'avait que quatorze ans. Je pouvais suivre tout cela, mais de notre monde aujourd'hui immatériel … A ce moment Joseph Désiré fut interrompu par Pierre. - Dis-moi, ta descendante te rend là un sacré témoignage ! - Tu as raison et j'en suis très touché ! D'autant plus qu'elle s'est encore efforcée de poursuivre sa quête plus avant. Une nouvelle industrie d'origine anglaise prenait son essor à Calais : le tulle. Ces dentelles d'une grande finesse et d'une remarquable beauté exigeaient beaucoup de travail et atteignaient des prix élevés. Aussi dès le XVIIIème siècle, les Anglais se préoccupèrent-ils de trouver un moyen de fabrications plus rapide et plus économique. La dentelle mécanique était fort prisée en France et sous l'Empire elle était vendue au prix exorbitant de 125 francs le mètre. Les tullistes anglais connus sous le nom de " rackers " comprirent vite les énormes bénéfices qu'ils pourraient réaliser en s'installant sur le continent. Mais Nottingham devenue capitale des tulles et dentelles mécaniques protégeait jalousement son industrie et tout ouvrier s'avisant d'exporter un métier en fraude ou de livrer le secret de fabrication s'exposait à la peine de mort. Un certain "racker" R.Webster aidé de deux compagnons, résolut malgré les difficultés et les risques encourus, d'exporter en pièces détachées un métier à dentelle en France. Il s'installa clandestinement dans un vieux local de Saint-Pierre-les-Calais, faubourg de la cité des Six Bourgeois, et dès le mois de décembre 1816 fabriqua de la dentelle. En 1821 on dénombrait, tant à Saint-Pierre qu'a Calais, non moins de onze fabriques, trente-huit métiers, quarante-sept rackers et deux cent quarante brodeuses, raccommodeuses ou dévideuses. Cette industrie florissante créa des vocations et c'est ainsi que Joseph Delattre, le cousin germain de ma femme Constance, monta sa propre entreprise et devint un important fabricant de tulle. C'est lui qui se chargea de l'éducation de notre fils, son neveu, Joseph Léon Simon. Il lui donna sans aucun doute une bonne éducation en lui apprenant le métier, car lors de son mariage à vingt deux ans il exerçait déjà, lui aussi, le métier de fabricant de tulle à Saint-Pierre-les-Calais. C'est l'histoire d'une autre vie qui s'engageait … Toujours est-il que mon fils a pu échapper à la tradition familiale de la mer, métier excessivement difficile et qui surtout, l'avait malheureusement privé du soutien paternel lorsqu'il n'était encore qu'un petit garçon.
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