Louis Château
Je suis né dans un petit village sarthois, à Saint-Célerin, le 18 novembre 1833. Mon père, Gilles Château, était meunier au lieu-dit du Moulin au Moine. Il avait épousé Marie Madeleine Grignon, native de Champrond.
Saint-Célerin est une commune située au nord-est du Mans, à sept kilomètres au sud de la ville de Bonnétable.
J'ai passé ma jeunesse bercé par le tic-tac caractéristique du moulin. Je venais d'avoir sept ans, lorsque furent transférées les cendres de Napoléon aux Invalides à Paris. L'année de mes dix huit ans fut marquée par une loi importante ; celle de la limitation de la durée du travail des enfants dans les manufactures.
Avec mes parents, j'ai appris le métier de meunier. Ce métier s'apprenait dès l'enfance et il y avait une très grande complicité entre le père et son fils. J'apprenais une chose, puis une autre en fonction de l'évolution de mon âge. Souvent, encore à cette époque, on était meunier de père en fils. La coutume voulait aussi que les enfants de meuniers épousent les enfants d'un autre meunier. Je n'ai donc pas échappé à cette coutume.
Le 29 août 1868, j'épousais Louise Besnard, de quatorze ans ma cadette. Elle était la fille du meunier du Moulin de la Ronce à Champrond, village situé entre Vibraye et Montmirail. C'était un village qui avait beaucoup souffert. A la Révolution il fut entièrement détruit et seule l'église a été en partie épargnée. Sur cette commune, subsiste encore actuellement la ferme des Friches. C'est là que ma belle-mère est née. Ce domaine agricole est toujours la propriété de la famille Besnard. Mon descendant y a rencontré dernièrement un cousin âgé de quatre vingt trois ans. Le bourg a été transféré aux Forges, petit hameau où était exploitée une forge.
Nous ne sommes pas restés sédentaires au cours de notre vie. Ma femme et moi, avons exploité trois moulins. Celui de la Ronce à Champrond, le moulin d'Iverny à Montmirail et le moulin du Mouchet à Lamnay.
Notre métier était un métier difficile.
L'exploitation nécessitait soins et entretien constants. Il fallait curer les fossés d'adduction et du bief. Nettoyer les feuilles qui s'accumulaient aux pelles de retenue. Les engrenages principaux étaient traditionnellement en bois et cassaient souvent. Ils nécessitaient les visites fréquentes du charron qui venait changer les chevilles appelées " doigts " du moulin. Régulièrement venait un spécialiste : le rhabilleur de meules. Avec un marteau spécial, aux arètes très vives, il recreusait les cannelures des meules érodées par l'usage. Il procédait aussi, si besoin, aux remplacements partiels des surfaces de travail.
Mon travail de meunier était asservissant. Il me fallait surveiller les " flots " d'amont et remplir opportunément le bief. Je travaillais souvent la nuit, car une partie des journées était réservée aux "tournées " dans les fermes, avec une carriole basse et bâchée.
Les paysans du village apportaient leur grain au moulin, une fois la moisson terminée. Parfois, il fallait aussi récupérer le blé à domicile et les " sacs à moudre " étaient préparés devant les portes.
Le travail effectué, le meunier était astreint à une tournée quotidienne pour livrer sa farine. Je rendais la mouture en deux sacs, la farine et le son. Les pesées s'effectuaient avec une petite balance romaine. Le bout d'un bâton calé sur l'épaule, l'autre bout calé contre la carriole, prenait une importance singulière.
Parfois des discussions aigres éclataient lorsqu'un paysan estimait que je m'étais trop bien servi. Un usage immémorial, survivance d'un ancien droit de mouture, voulait en effet que le meunier fut payer en farine et qu'il prélèva un pourcentage. En moyenne ce droit était de huit à dix pour cent de la farine obtenue. Si c'était le client qui ramenait sa farine, la commission n'était alors plus que du vingtième. Cependant, parfois certains trouvaient que ce pourcentage était élevé et disaient que le meunier trichait. Cela avait sans doute existé jadis, mais de mon temps, il me fallait tenir une comptabilité sérieuse car la fraude sur les taxes établies sur la farine étaient très surveillées.
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