Au moulin les deux meules, organes vitaux, étaient placées l'une au dessus de l'autre. La meule inférieure dite la " gisante " ou " dormante " était fixe. La meule supérieure, dite " meule courante ", recevait le mouvement. Elle ne reposait pas sur l'autre de tout son poids mais elle était soutenue par un système de suspension assez délicat et réglable selon la mouture désirée, que lui transmettait en même temps l'énergie de rotation. Elles étaient réalisées d'une variété de pierre particulière : le silex meulier. Les meilleures pierres venaient de la Brie mais celles des carrières de La Ferté-sous-Jouarre étaient aussi très appréciées. Les meules des moulins n'étaient pas constituées d'une seule pièce, mais par assemblage avec un ciment spécial de fragments de silex meunier. C'est pour cela qu'elles recevaient un cerclage ou " frettage " de deux ou trois cercles de fer qui assuraient la cohésion et prévenaient l'éclatement. Les faces en regard n'étaient pas lisses. On y taillait des cannelures de section triangulaire de deux ou trois centimètres de largeur qui canalisaient les grains arrivant par le centre de la meule et provoquaient son acheminement vers les régions périphériques. Ainsi, ceux-ci étaient successivement entraînés et broyés entre les surfaces parallèles des deux meules. Une huche circulaire, la " boulange " recueillait la mouture tombant autour des meules.
La technique meunière était particulière. Entraîné par la roue, l'arbre moteur actionnait le rouet, engrenage qui à son tour actionnait la " lanterne ". Ce petit élément constitué de fuseaux de bois avait pour tâche d'activer l'axe vertical relié aux meules. Une trappe s'ouvrait dans le plancher de la chambre des meules, par où arrivaient les sacs solidement saisis par la " louve " Cette pince métallique reliée à la chaîne était solidaire du système de transmission générale. Le crible éliminait les impuretés et laissait les grains s'engouffrer depuis la trémie jusque dans " l'auget " Un petit tuyau d'écoulement, pourvu d'arêtes de bois, facilitait la chute de grains dans " l'oeillard " des meules et donnait au moulin son fameux "tic-tac " caractéristique. Je devais veiller continuellement à ce que l'oeillard reçoive en permanence le grain, sinon les meules s'échauffaient et pouvaient provoquer un incendie qui m'aurait ruiné.
Deux autres métiers importants étaient liés au mien : le rhabilleur de meules et le charpentier de moulin.
Le rhabilleur de meules allait de moulin en moulin et jouait un rôle prépondérant. On le reconnaissait à ses mains noircies et bleuies d'éclats de limaille de fer.
Après avoir soulevé la meule courante, il marquait la surface à battre au moyen d'une règle enduite d'une sorte de craie. Il martelait les parties colorées, puis adoucissait l'ensemble, afin de rétablir la régularité et les stries de la meule. C'était un travail long et fatiguant qu'il pratiquait à genoux sur un sac. Il utilisait une mailloche pour rebattre les meules, la gisante comme la tournante. Il creusait de nouvelles stries pouvant à nouveau attaquer le grain et donner de belles farines.
Le charpentier de moulin était aussi un métier des plus importants. Exigeante d'ordinaire, cette profession nécessitait encore plus de qualités. Le charpentier de moulin se doublait d'un mécanicien, car la plupart des pièces étaient réalisées en bois, jusqu'aux engrenages, les arbres à cames et les vis sans fin. Le charpentier devait être doté d'une force physique importante lui permettant de pouvoir déplacer des poutres dont certaines pesaient plusieurs centaines de kilos. Il travaillait souvent sans croquis et n'utilisait que son savoir-faire qui se transmettait de génération en génération.
Exercer la profession de meunier nécéssitait d'avoir des compétences relativement poussées. Dès 1790, l'académie des Sciences posait au moins neuf conditions :
"On commence à convenir qu'un meunier doit connoître : les qualités des différentes espèces de grain qu'on est dans l'usage de réduire en farine ; la manière de les nettoyer et de les étuver avant de les moudre ; la construction de toutes les pièces d'un moulin, leurs rapports entre elles, leur méchanisme, leurs effets dans les différentes espèces de moutures, pour pouvoir faire ou faire faire à propos & convenablement les constructions & réparations nécessaires ; le bon choix des meules qui convient pour la différente mouture de chaque espèce de grain séparément, & pour celle des bleds mélangés, des bleds humides, des bleds secs, &c. ; les différentes espèces de mouture ; les différens bluteaux à employer selon les différentes moutures, & les différens produits qu'on veut en tirer ; les mêlanges de farine les plus avantageux pour le peuple l'art de conserver les farines."
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